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Les voiles : La grand-voile et les réductions
Envoyer et amener la grand-voile
La GV du Marche-Avec est puissante, avec ses 62,58 m2, elle possède une surface importante en comparaison de celle de voiliers de même taille (Corbeau des Mers…). Savoir envoyer et amener correctement et rapidement la GV est par conséquent un facteur de sécurité.
1/ Envoyer la GV
Quatre équipiers vont opérer, en plus du barreur. Deux à la drisse de mât, deux à la drisse de pic.
La situation est la suivante :
- les balancines soutiennent la bôme.
- la GV est ferlée sous son taud et maintenue en place entre la bôme et le pic par des rabans noués gansés.
- les écoutes de GV et de flèche sont bordées et lovées et les lazy-jacks tendus au mât.
La procédure à suivre :
Le taud de GV est déposé, plié et rangé à l’intérieur du bateau. Les rabans sont dénoués et rangés à l’intérieur. On laisse en place au niveau du barreur un dernier raban jusqu’au moment de hisser, de sorte que la voile qui se déploie ne le gêne pas. On délove la drisse de flèche et on libère les lazy-jacks.Le barreur est venu bout au vent. Il choque l’écoute de GV. Le dernier raban est dénoué.
Un équipier à la drisse de pic commence à hisser pour engager l’extrémité du pic entre les deux balancines. Cela fait, les deux équipiers à la drisse de mât commencent à hisser et lorsque le pic est à l’horizontale, les quatre équipiers hissent le pic en veillant à ce qu’il reste à l’horizontale jusqu’à ce qu’il soit étarqué au mât.
En effet, l’effort à faire pour hisser à la drisse de pic est moindre que pour hisser au mât et les équipiers à la drisse de pic auraient tôt fait de hisser plus vite qu’à la drisse de mât et dans ces conditions, le pic, qui est un espars très lourd, appuierait alors fortement contre le mât, générant des frottements importants et rendant plus important encore l’effort à fournir à la drisse de mât.
La drisse de mât étarquée, c’est-à-dire quand le guindant de la voile est bien raide et que les poulies de drisse de mât sont à 20 cms les unes des autres, il faut hisser à bloc la drisse de pic. Lorsque les efforts à faire sont trop importants, à l’une ou l’autre drisse, il faudra peser (border) sur les doubles de ces drisses après avoir tourné les simples sur leurs cabillots respectifs.
Ce n’est que lorsque les balancines - qui soutenaient la bôme jusque-là - seront choquées que la grand-voile prendra sa forme. Les drisses de pic et de mât sont ensuite lovées et rangées, prêtes à filer (pas de nœud).
On termine l’étarquage à 2 par traction latérale sur la simple drisse bloquée au cabillot. Si cela ne suffit pas, on fait la même opération avec le palan de double pied de mat situé sur le bord opposé à la simple manoeuvre.
2/ Amener la GV (et non affaler...)
Cette manœuvre, qui s’effectue avec la plus grande facilité et en quelques secondes sur un gréement moderne équipé de bloqueurs, de chariots de grand-voile, de lazy-jacks et d’un lazy-bag demande plus d’attention, de temps et de préparation sur le Marche-Avec. La manœuvre requiert des bras, en particulier pour ferler correctement la grand-voile en fin d’opération.
La manœuvre décrite ci-dessous est « à l’ancienne », elle n’utilise pas les lazy-jacks. Une autre variante est possible qui utilise les lazy-jacks. Elle sera également décrite
Préparation
Les drisses : il est utile de s’assurer que les drisses de pic et de mât vont filer correctement. Rien n’est plus gênant qu’une grand-voile qui reste battre à mi-hauteur pendant que les équipiers se battent frénétiquement contre une coque qui s’est formée sournoisement dans le mou de la drisse. Pour cela, préparer une drisse « bien pensée » sur le pont n’est jamais une perte de temps.
Les rabans : quelques rabans sont disposés sur le rouf et derrière le barreur, prêts à être utilisés sans perte de temps lorsque la voile aura été amenée.
Où la voile va-t-elle tomber ? Le chef de bord indique de quel côté il veut faire tomber la voile. S’il décide que la voile tombera à tribord, c’est la balancine bâbord qui sera pesée, pendant que la balancine tribord avec ses lazy-jacks sera complètement mollie. L’idée est de laisser toute la voile tomber jusqu’au pont avant de la rouler en poche sur elle-même. Cette façon de faire permet un ferlage régulier et esthétique, sans plis.
A ferler la grand-voile sur le langoustier
Sant C’hireg, Perros-Guirec.
Procédure à suivre
Une balancine a été pesée, l’autre est complètement choquée. Pour cela, les lazy-jacks repris au mât ont été libérés.
Un équipier se charge de la drisse de mât. Un second de la drisse de pic.
Le barreur vient bout au vent ; il manœuvre que telle sorte que la grand-voile reste du côté choisi pour l’amener ; il se tient prêt à choquer ou embraquer l’écoute de grand-voile à la demande.
La drisse de pic est filée jusqu’à ce que la corne soit horizontale.
Drisse de pic et drisse de mât sont ensuite filées de sorte que la corne descende horizontalement, ce qui limite le frottement de l’encornat sur le mât et facilite la manœuvre.
Un équipier reprend au fur et à mesure le mou de l’écoute de flèche, ce qui va limiter le balancement de la corne.
La corne est amenée parallèlement à la bôme, à environ 20 cms de celle-ci pour ménager un espace à la voile lorsqu’elle sera ferlée ; les drisses de pic et de mât tournées sur leur cabillot respectif.
L’écoute de grand-voile est maintenant bordée pour limiter au maximum le ballant de la bôme.
Les équipiers se positionnent le long de la bôme et ensemble, forment une poche avec la grand-voile et la roulent sur elle-même en la ramenant sur la bôme. Ils la soutiennent pendant que les premiers rabans sont mis en place, en priorité en bout de bôme à l’arrière et au milieu, là où la surface de voile est la plus importante et la plus lourde. Les écoutes de grand-voile et de flèche étant bien bordées, l’équipier en bout de bôme pourra s’y appuyer pour nouer le raban qui à la fois immobilisera la corne et soutiendra la partie la plus lourde de la grand-voile ferlée.
La balancine qui était choquée est reprise rapidement, pour éviter qu’elle et ses lazy-jacks ne soient pris dans les rabans.
Une dizaine de rabans sont disposés régulièrement, entourant bôme, grand-voile et corne ; ils sont assez longs pour faire deux tours avant de terminer avec un nœud gansé.
Finalisation
Les lazy-jacks sont bordés et repris au mât.
Les différentes manœuvres, drisses et écoutes, lovées et rangées.
Le taud : compte-tenu des échancrures qui y sont ménagées, il faut le présenter de tribord vers bâbord. A noter que pour mettre correctement le taud en place en extrémité de bôme, il est utile de choquer un peu l’écoute de flèche.
Une autre méthode pour amener la grand-voile consiste à utiliser les lazy-jacks[i] aujourd’hui installés sur les balancines du Marche-Avec, mais qui n’existaient pas sur les cotres sardiniers originaux. La procédure est plus simple, plus rapide mais l’aspect immédiat du ferlage moins net ; il faudra parfois reprendre le ferlage au mouillage.
Préparation
Elle est la même en ce qui concerne les drisses et les rabans. Mais cette fois, la voile ne va pas tomber d’un côté ou de l’autre, elle va être guidée par les lazy-jacks et descendre en restant centrée sur la bôme.
Procédure à suivre
• Les deux balancines sont pesées de manière identique, elles soutiennent la bôme. Pour cela, les lazy-jacks repris au mât ont été libérés. Une fois les balancines bordées, les lazy-jacks sont tendus et le mou tourné au mât.
• Un équipier se charge de la drisse de mât. Un second de la drisse de pic.
• Le barreur vient bout au vent ; il se tient prêt à choquer ou embraquer l’écoute de grand-voile à la demande.
• La drisse de pic est filée jusqu’à ce que la corne soit horizontale.
• Drisse de pic et drisse de mât sont ensuite filées de sorte que la corne descende horizontalement.
• Un équipier reprend au fur et à mesure le mou de l’écoute de flèche, mais cela est moins important que dans la façon traditionnelle, le balancement de la corne étant encadré par les deux balancines.
• La corne est amenée parallèlement à la bôme, à environ 20 cms de celle-ci pour ménager un espace à la voile qui se trouve « en accordéon » ; les drisses de pic et de mât sont tournées sur leur cabillot respectif.
• L’écoute de grand-voile est bordée pour limiter au maximum le ballant de la bôme.
• Les équipiers se positionnent le long de la bôme et disposent une dizaine de rabans régulièrement, entourant bôme, grand-voile et corne, comme dans la façon décrite ci-dessus.
Finalisation
Hormis pour les lazy-jacks, déjà tournés au mât, la finalisation de la procédure est la même que ci-dessus.
Alors, quelle méthode employer ?
Chacune de ces deux méthodes (il y en a sans doute d’autres) présente des avantages et des inconvénients. La première permettra en général un ferlage plus directement esthétique. La seconde sera plus facile à mettre en œuvre, en particulier par mer agitée et/ou équipage réduit ou tout débutant.
[i] En français, des « balancines à filets » - cf par exemple la revue Chasse Marée numéro 201 page 66
3/ Les réductions de voilure
3.1/ Les tours de rouleau et le filage de pic (scandalisation)
Le ciel était dégagé, les embruns volaient gentiment, la brise était bonne et le Marche-Avec naviguait tout dessus. Et voilà que le vent forcit, que le bateau est déjà trop toilé ou le sera sous peu. Il faut réduire la surface de la voilure. Comme souvent, il existe plusieurs options, qui consistent à agir en avant ou en arrière du mât, ou les deux.
En avant du mât : envoyer un foc plus petit, au besoin amener le foc pour ne laisser que la trinquette, ou le contraire, amener la trinquette et ne laisser qu’un foc, et quand être sous trinquette seule n’est toujours pas suffisant, prendre des ris dans la trinquette. On trouvera la description de ces manœuvres dans une autre section.
En arrière du mât :
On a parlé par ailleurs du flèche qu’on amène quand le vent monte et fait travailler le gréement. C’est certainement la première chose à faire. Quand cela ne suffit pas, il faudra envisager de réduire la surface offerte par la grand-voile, particulièrement importante pour la taille du bateau. Rappelons que le Marche-Avec porte jusqu’à 152 mètres carrés de toile alors qu’un bateau d’époque comme le Corbeau des Mers, comparable au Marche-Avec, en longueur et déplacement, n’en porte que 100, ce qui était probablement aussi le cas du Gaby, dont s’inspire le Marche-Avec. Dans ces conditions, nous avons affaire à un bateau très toilé et il est essentiel de bien maîtriser la puissance de la grand-voile, en enroulant ses 63 m2, ou en la scandalisant.
3.2 / Les tours de rouleau
Pas de prise de ris sur la grand-voile du Marche-Avec, mais un système de réduction par enroulement de la grand-voile autour de la bôme (ou gui). Ce mécanisme de tours de rouleau, qui évite les acrobaties de prise de ris en bout de bôme, représentait à l’époque un progrès certain : « Je signale le gui à rouleau, écrit en 1911 un témoin (…), dont la manœuvre est très facile et supprime la grosse difficulté de faite l’empointure au moyen de l’étarque de ris qui se trouve toujours en dehors du bateau avec un gui ordinaire. Cette manœuvre me donnait toujours la plus grande inquiétude dans les mers énormes qu’on rencontre si souvent dans le Golfe[1] ».
Sa mise en œuvre correcte exige cependant de s’exercer souvent, une réduction de voilure bien comprise et rapidement effectuée étant évidemment un gage de sécurité.
Procédure :
En plus du barreur, trois équipiers ne seront pas de trop, un à bâbord, qui choquera la drisse de mât, deux à tribord qui pèseront sur le palan dédié de prise de tours de rouleau.
Soutenir la bôme en reprenant le mou des balancines ;
Préparer la drisse de mât pour s’assurer qu’elle filera correctement
Dénouer le transfilage du guindant sur la hauteur voulue ; à noter que sur le Marche-Avec, à l’instar de ce qui se pratiquait sur les cotres-pilotes, le premier œillet n’est jamais transfilé, ce qui permet d’enrouler plus d’un premier tour sans toucher au transfilage et donc de réduire plus rapidement ;
Préparer le palan de point d’amure du flèche qui, par définition, n’est plus utilisé puisque le flèche n’est plus à poste, et qui servira à assurer le maintien du levier de blocage ;
Défaire le palan dédié de son estrope ;
Frapper l’œil du câble d’enroulement sur le palan dédié ;
Faire moins porter la grand-voile en la choquant ou en lofant ;
Choquer la drisse de mât ;
Peser sur le palan de prise de tours de rouleau et enrouler ;
Une fois la voile enroulée autour de la bôme, étarquer la drisse de mât pour raidir le guindant, au double si nécessaire, puis reprendre de la drisse de pic pour retrouver un apiquage correct ;
Assurer le maintien du levier de blocage avec le palan d’amure de flèche ;
Laisser en tension le câble d’enroulement et tourner au taquet le palan dédié ;
Refaire porter la grand-voile en la bordant ou en abattant.
Qu’en dit un ancien patron de Camaret ? « Pour prendre des tours de rouleaux, pas de problèmes, si le truc est graissé, ça roule ; un ou deux hommes à la chaîne, sur le palan de bastaque (= sur le Marche-Avec, deux équipiers sur le palan dédié), un autre à filer la drisse de mât. Le patron lance le bateau dans le vent, il tâche de garder un peu d’erre. Alors, au fur et à mesure que moi je pèse, l’autre règle ça avec sa drisse, que ça reste tendu ; on touchait jamais à la drisse de pic, parce que quand on roule, le gui a tendance à tomber sur l’arrière avec la forme de la voile, là alors, ça compense, et la voile se remet bien d’elle-même. Quand on a bien mis la tringle ici en haut, allez stop, met le linguet en place, amarre le linguet et envoie dedans, en route de nouveau. Il fallait amarrer le linguet parce que quelquefois, avec un gros coup de tangage, il peut foutre le camp et puis dérouler. On pouvait prendre deux tours d’un coup dans la même manœuvre. Combien on en prenait ? Trois, c’était le grand maximum, il fallait déjà qu’il y ait beaucoup de vent, quatre, c’était vraiment rare. On ne peut pas en prendre plus de cinq, après, la corne vient trop bas ».
A noter que si la drisse de pic n’est normalement pas choquée pour prendre des tours, il pourra cependant être nécessaire dans certaines circonstances d’amener le pic à l’horizontale pour lui permettre de descendre davantage lorsque l’on veut enrouler la voile au maximum. Le poids du pic associé au fort apiquage est en effet tel que le frottement de l’encornat sur le mât peut purement et simplement empêcher le pic de descendre et par conséquent la voile de continuer à s’enrouler.
3.3 / La scandalisation ou filage de pic.
C’est la façon la plus rapide de faire perdre de sa puissance à la grand-voile. Cette manœuvre est décrite dans le numéro 36 du Chasse-Marée, page 30 : « Un des avantages du gréement à corne est de pouvoir réduire en quelques secondes la poussée de la grand-voile, tout en maintenant une certaine puissance propulsive. Il suffit pour cela d’étouffer la partie supérieure de cette voile en laissant tomber plus ou moins la corne. C’est ce que les Anglais appellent « scandaliser » la grand-voile, en français on dit plus simplement « filer le pic ». (…) C’est une très bonne méthode pour ralentir rapidement dans un port ».
On pourra filer le pic si on est surpris par une survente mais aussi lorsque le bateau est au mouillage, que la grand-voile n’a pas été amenée, mais que cependant, on ne souhaite pas qu’elle reste complètement établie (rafales, vent changeant en direction…). Le pic peut alors être laissé à quelques degrés sous l’horizontale, mais il peut aussi être complètement filé jusqu’à rejoindre la bôme, où les mouvements de son extrémité pourront être étouffés dans les plis de la grand-voile.
Procédure :
Un équipier suffit
Préparer la drisse de pic pour s’assurer qu’elle filera correctement ;
Soutenir la bôme en reprenant le mou des balancines ;
Choquer la drisse tout en la contrôlant en la faisant passer sous un cabillot. Ce dernier point est important, l’expérience montrant que le poids du pic a parfois surpris des équipiers qui ont laissé échapper la drisse et laissé l’extrémité du pic heurter l’eau ou le pont…
Ci-dessous, un exemple à hisser lors de l’exercice de sécurité de 2016
[1] Ar Vag – Voiles au travail en Bretagne atlantique page 67.